L’état du monde
Recueil de poèmes par Myrtia Gehin
Poème premier. Grèce
L’ombre noire des figuiers sur les maisons crépies
Chantent l’après-midi les enfants du pays
Lassés des villas closes ils courent les ruelles
La jeunesse éperdue s’éparpille au soleil.
Petits guérilleros, enfants d’Athènes et Sparte,
De leurs pieds nus blessés les brides s’en écartent
La liberté violette colorie leur mollets
La mer et les citrons, les cassis écrasés.
Sans pères et sans regrets, d’Hésiode ils sont nés
Leurs yeux, soleils noirs, s’imprègnent des beautés
D’Ulysse et des aèdes, des boucles et des quatrains ;
Emerge, immarcescible, l’enfant baudelairien.
Poème second. La rivière et le pis
Coulent le long du monde les rivières sans eau.
Le pis tremblote avant d’être tiré.
Coule le lait le long du seau.

Poème troisième. Notre-Dame en flammes
De sombres notes murmurent les homélies,
Les volets ternes caressent l’air enfumé,
De son orgueil Paris se dessaisit ;
Et la nuit ne vient pas, on pleure le suranné.
La cathédrale enflamme son auréole
Les pieds arqués dans les pavés gluants ;
Le ciel, rougi, témoin d’elle qui s’immole,
Irrigue de tendres larmes le calcaire sénescent.
Divin panache cendré, grisaille luminescente ;
Incorporelle ascension de l’âme !
La flèche s’est-elle éprise des divinités
Au point de se défaire des matérialités ?
L’humanité respire à pouls rimé
L’œcuménique histoire de Notre-Dame.
Douce Seine, épanche la coéternité
De la livide déréliction des âmes !

Poème quatrième. Automne
Des champignons bombent le rond
De leur armure au temps d’automne.
Ces doux cueilleurs, quelle vésanie !
Leurs yeux tiennent par les mains leur vie.
La succession des jours dévore
Les luniformes craquelures au sol.
Feuilles ; le sous-bois s’en recouvre déjà.
La sveltesse des pas fait fracas.
Le long du bruit la nuit sauvage,
Se mêle solennelle au ru noir.
Poème cinquième. Nuit – Poème à quatre mains avec Ulysse Gehin
Du bleu sombre dont Monet parât Étretat
Hurle mélancolique la dolce Vita.
L’orage arrache au ciel quelques rayons enfuis
Cette nuit mystique était un géant de suie.

Poème sixième. En Alberta
Rêveuses, quelque part hors du monde,
Nous avançons sans gêne vers des monts de soleil,
Que la terre orageuse de sa rudesse gronde ;
Nous éclosons lentement dans le terreau du ciel.
Les neiges ont dévoré les plaines d’ocre brune,
Nous avons sans regret marché dans le blanc vide
Et trouvant l’air humide, nous avons fait goûter nos visages à l’écume
Le ruisseau coule encore, là où nous étions ivres.
Les œuvres qui illustrent ces poèmes ont été créées par Matilda Vedel, étudiante aux Beaux Arts de la Sorbonne.